Toujours développé par Mundfish et publié par Focus Entertainment, Atomic Heart: Trapped in Limbo est la deuxième extension majeure du jeu Atomic Heart, sortie le 6 février 2024. Disponible sur Xbox Series X/S, ce DLC abandonne complètement le cadre froid et oppressant du Complexe 3826 pour plonger le joueur dans une hallucination surréaliste, un monde où l’esprit du Major P-3 dérive dans un délire sans fin.
Si le jeu de base offrait une dystopie soviétique métallique, froide et mécanique, Trapped in Limbo brise ces codes pour proposer une esthétique psychédélique, des décors mouvants, une réalité fragmentée où les lois physiques n’ont plus aucun sens. Ici, plus de repères, plus de directives, juste une chute libre dans un espace où la propagande se mélange aux cauchemars, où la logique se déforme à chaque instant.
Mais cette vision cauchemardesque parvient-elle à renouveler l’expérience ou sombre-t-elle dans une expérimentation trop absurde pour convaincre ?
Setchenov est mort. CHAR-Les s’est libéré. Et le Major P-3 ? Plus de mission, plus de directives, plus de chaîne à laquelle se raccrocher. Juste un vide, un trou béant où le corps est immobile mais où l’esprit refuse de s’éteindre. C’est ici que commence Trapped in Limbo, non pas dans un laboratoire soviétique rongé par la rouille, mais dans un espace suspendu, une anomalie où la logique s’effondre sous le poids des souvenirs brisés.
Le Major n’est plus lui-même. Dans cette prison hors du monde, il se voit sous la forme d’un lapin blanc, errant sans repères à travers un paysage où la réalité ne cesse de se plier sous des angles absurdes. Mais il n’est pas seul. Quelque chose, ou quelqu’un, l’appelle. Une voix, un murmure qui semble émerger de l’étrange fluide polymérique qui coule à travers cet endroit déformé. Katya.
Là, sous une forme incertaine, sa femme tente de le guider vers la surface, vers un retour possible à la réalité. Mais ce n’est pas une simple remontée, c’est une épreuve, une confrontation avec des vérités longtemps enterrées, un face-à-face avec le passé qu’il a oublié, ou qu’on lui a volé. Ce qu’il croyait savoir sur lui-même, sur sa mission, son rôle dans cette tragédie, tout est remis en question. Chaque pas dans ce monde brisé est une nouvelle pièce du puzzle, et au bout du chemin, une seule certitude : ce qui l’attend à son réveil ne sera pas plus rassurant que ce qui l’a conduit ici.
Mais encore faut-il qu’il parvienne à s’éveiller.
Trapped in Limbo reprend la plume incisive et dense qui caractérisait Atomic Heart et son précédent DLC. Chaque révélation tombe avec le poids d’une fatalité implacable, chaque échange avec Katya ou les fragments de son passé soulève plus de questions qu’il n’en résout. Le spectre de Setchenov plane toujours, mais cette fois, c’est son héritage, ses décisions, et tout ce qu’il a fait pour sauver – ou condamner – le Major qui refont surface. Ce n’est plus une mission militaire, c’est une dissection mentale, un dernier combat entre ce qu’il croit être et ce qu’il a réellement été.
Mais cette descente aux enfers suit des règles bien différentes. Linéaire ? Pas vraiment. Cohérente ? Encore moins. Trapped in Limbo ne se contente pas de réinterpréter son univers, il le déconstruit pièce par pièce, fragmentant sa progression en une série d’épreuves étranges, de mini-jeux, comme si le Major lui-même n’était plus qu’un cobaye prisonnier d’un délire qui ne veut pas de fin.
Les balles n’ont plus de poids. Les machines soviétiques ne hurlent plus. La guerre, le sang, les missions, tout ça appartient au passé. Trapped in Limbo abandonne le cadre brutal du Complexe 3826 pour plonger dans un univers décomposé, où la plateforme et la réflexion remplacent la survie et la violence.
Ici, le Major ne court plus, il glisse, il saute, il chute. Les niveaux se succèdent sans logique apparente, éclatés entre trois types d’épreuves qui brisent les habitudes du joueur. Les premiers segments exigent de rider sur des routes biscornues, des rails enchevêtrés qui se dérobent sous les pieds, demandant des réflexes aiguisés et des sauts d’une précision millimétrée. D’autres imposent de l’escalade, une progression plus posée, où chaque prise, chaque surface devient un test de patience et d’agilité. Et puis viennent les instants les plus absurdes, où le Major disparaît, laissant place à une oie. Dans un retournement improbable, c’est désormais l’animal qui traque P-3, le renversant dans son propre cauchemar.

Mais si ce voyage surréaliste semble détaché du jeu principal, il n’est pas sans récompense. Les niveaux cachent des pièces dorées, précieuses pour ceux qui veulent débloquer de nouveaux skins d’armes, non pas pour Limbo, mais pour la campagne principale. Chaque détour, chaque recoin exploré devient un investissement dans un futur que le Major espère encore atteindre. Et puis, il y a les pommes, monnaie essentielle dans ce délire instable, permettant d’acheter des améliorations aléatoires à la manière d’un roguelite. La puissance ne s’accumule pas avec la logique des shooters traditionnels, elle se joue sur la chance, sur l’opportunisme d’un monde qui ne suit plus de règles.
Ce parti-pris audacieux, cette cassure avec les fondements d’Atomic Heart, n’est pas sans conséquences. La volonté de faire exploser les barrières d’un genre figé, d’oser l’inattendu, sont autant d’idée géniales qu’on aimerait voir plus souvent. Mais force est de constater qu’une succession d’idées aussi brillantes que frustrantes dans leur exécution n’est pas exempt de tout défaut. Les séquences de glissade demandent une précision chirurgicale qui peut rapidement tourner au die & retry fastidieux. L’escalade impose un contrôle plus rigide du personnage, contrastant avec l’agilité demandée dans les autres segments. L’aspect roguelite, bien qu’amusant, n’apporte pas forcément la rejouabilité espérée, limitant l’intérêt d’un second passage.
Mais au final, que reste-t-il de ce voyage ? Une impression étrange, celle d’un jeu qui n’a pas peur de s’effondrer pour renaître sous une autre forme. Trapped in Limbo ne veut pas être un simple DLC : il veut être une anomalie. Et il y parvient avec une sorte de brio abscons.
Si Atomic Heart plongeait dans une esthétique soviétique brutale, industrielle et déshumanisée, Trapped in Limbo brise complètement ces codes. Exit le béton froid et les laboratoires aseptisés : ici, l’univers explose en une déferlante de couleurs criardes, de formes impossibles et de perspectives qui défient toute logique.
L’environnement se reconstruit en temps réel sous les pieds du Major. Les plateformes flottent dans le vide, les routes surgissent de nulle part avant de s’effondrer dans un néant coloré, les structures se plient et se tordent comme si elles hésitaient entre rêve et réalité. Chaque zone est un tableau mouvant, une fresque déstructurée où la propagande soviétique semble avoir fusionné avec un délire sous psychotropes.
Et pourtant, ce chaos visuel suit une direction artistique parfaitement maîtrisée. Les décors empruntent aux codes du constructivisme soviétique, mais les amplifient jusqu’à la caricature, créant un contraste saisissant entre une imagerie familière et une distorsion totale de la réalité. Les statues héroïques du prolétariat ne restent pas immobiles : elles bougent, dansent, se contorsionnent comme si elles se moquaient de leur propre idéal. Les affiches de propagande, autrefois figées, s’animent et semblent interagir avec le joueur, lui lançant des slogans absurdes ou changeant de message en un clin d’œil.
Là où Atomic Heart faisait résonner des compositions électroniques industrielles et des remix de chansons soviétiques, Trapped in Limbo accentue le décalage avec une bande-son qui oscille entre euphorie et malaise. Les musiques traditionnelles sont distordues, hachées, réinterprétées avec des sonorités électro saccadées qui se synchronisent avec l’instabilité du monde. Chaque niveau impose son propre rythme, passant d’une mélodie presque enfantine à une cacophonie de percussions métalliques qui semblent se moquer du joueur.
Les effets sonores jouent aussi un rôle fondamental dans cette sensation de perte de contrôle. Les plateformes grincent sous les pieds comme si elles souffraient, les bruits de pas résonnent différemment selon la surface, certains sons se répètent étrangement, donnant l’impression d’un bug sonore qui pourrait tout aussi bien être volontaire. Même les voix des personnages, distordues, superposées, renforcent l’impression d’un monde qui ne tient plus debout.
Là où le jeu principal cherchait à équilibrer action et tension, Trapped in Limbo transforme chaque bruit, chaque musique en une composante à part entière du délire ambiant. Le joueur n’est plus un spectateur passif : il est enfermé dans une expérience sensorielle qui ne lui laisse aucun répit.