Beneath the Trees Where Nobody Sees est un roman graphique de Patrick Horvath paru aux Éditions Ankama le 10 Janvier 2025. Il se compose de 160 pages.

Découpons dans les bois

Samantha Strong aime sa vie paisible à Woodbrook. Elle y réside depuis quarante ans, connaît tout le monde, a ses petites habitudes. Mais, si les habitants l’apprécient et la considèrent comme une amie, ce n’est pas réciproque. L’oursonne demeure sympathique, s’intègre parfaitement ; et c’est bien pour préserver cette quiétude qu’elle s’adonne à ses pulsions en ville et non dans ce village minuscule.

Samantha roule, choisit sa victime au hasard. Elle l’endort, la conduit jusque dans les bois. Là-bas, elle la tue proprement, sans douleur. Puis elle l’égorge, récupère le sang dans une espèce de valise. Enfin, elle la dissèque en de nombreux morceaux sur une bâche. Chacun d’eux est immergé dans un pot de peinture blanche. Tout ce matériel est à sa disposition, puisqu’elle travaille dans le magasin qui en vend. Après quoi, Samantha enterre les pots.

Cela fait une vingtaine d’années que l’oursonne réduit les voix dans sa tête de cette façon. Bien sûr, elle sait qu’elle cause de la peine aux proches de chaque victime, mais ces émotions lui sont presque étrangères.

L’autre tueur

Alors que Samantha savoure un bon bain après avoir commis son méfait ; tout bascule le lendemain, lorsqu’un premier meurtre a lieu à Woodbrook. Il est hors de question que Samantha se fasse coincer pour celui-ci. Elle a veillé à toujours se rendre en ville afin de préserver cette quiétude, et voilà qu’un autre tueur émerge et saccage tout. Contrairement à elle, sa manière de procéder est sanglante, graphique. Bien évidemment, il ne compte pas s’arrêter à une seule victime, et fait preuve d’une grande imagination pour attirer l’attention de Samantha…

L’ambiance à Woodbrook devient délétère, tout le monde se soupçonne et essaie de se protéger en achetant de quoi cadenasser la porte, des caméras de surveillance… La tension grimpe rapidement, générant davantage de méfiance parmi la petite communauté.

Samantha commence à investiguer afin d’identifier l’auteur de ces crimes qui lui portent clairement préjudice. Cependant, les apparences peuvent parfois être trompeuses…

Portrait d’une vraie psychopathe

Ce roman graphique met en scène des êtres anthropomorphes. De nombreux animaux peuplent cet univers qui nous plonge en Octobre 1986. Le style est maîtrisé, le jeu de couleur très agréable à l’œil ; même si le plus gros point fort réside dans la mécanique de pensée de Samantha. On sent un réel travail dans son fonctionnement personnel.

Un psychopathe manifeste un manque d’empathie notoire. C’est physiologique au niveau du cerveau : il a des connexions réduites entre le cortex préfrontal ventromédian et l’amygdale. En résulte une altération de la compassion, l’empathie, la culpabilité et la peur. Je vous recommande le documentaire « Psychopathes, ils sont parmi nous » disponible notamment sur Prime. Ce problème de connexions est visible lors d’un test : des individus regardent des vidéos choquantes et n’ont aucune réaction, leur cerveau est scanné à l’écran en parallèle. Une personne dotée d’empathie manifeste forcément ses émotions et son cerveau réagit immédiatement en envoyant des signaux adéquats.

Ici, Samantha remplit clairement les critères. Elle ne ressent rien, n’a aucun ami ; peut apprécier une personne, qui ne représente rien pour elle, même si elle la côtoie depuis 40 ans. Son modus operandi n’est pas sans rappeler celui de Dexter, à la différence qu’il cible des criminels et elle des inconnus.

L’histoire ne précise pas quelle enfance a eu Samantha, ce qui est dommage. Il faut savoir qu’un psychopathe possède les gènes de ses parents, mais c’est bien la maltraitance qui façonne les pulsions. Un individu qui possède ces fameux gènes mais mène une vie heureuse ne commettra pas d’actes criminels.

Les Serpents en soi

Les réactions et les dialogues des protagonistes sont vivants, on embarque dans cette petite ville instantanément. Au gré de l’enquête, on se demande qui est le deuxième tueur et quels habitants vont se faire massacrer. L’auteur aborde également une forme de névrose chez un de ses protagonistes avec une grande habileté. Les conséquences du deuil peuvent parfois conduire à adopter certaines attitudes surprenantes, mal vues en société…

Le papier est d’excellente qualité, avec une couverture cartonnée rigide. L’histoire est dense, bien mise en page ; les couleurs pastels, douces, contrastent avec le sujet.

 La partie dans la grotte est très intéressante : Samantha se confronte à ce qui se cache sous son propre masque. Les nombreux serpents colorés qui émergent de sa gorge sont autant de facettes d’elle-même ; en somme, Samantha souffre d’un TDI. Et cette manière de l’aborder est très subtile. Tous ces serpents font partie intégrante d’elle-même, de ses pulsions. Tous sont tachés de son propre sang, de ses aspirations sanguinaires.

On peut voir dans la nature des animaux qui ne possèdent pas de forme humaine. Ils ne dialoguent pas dans le langage humain, demeurent dans leur forme primitive. C’est le cas des ours que Samantha croise. Elle réalise alors que la nature est ainsi faite : la proie et le chasseur. Alors pourquoi en serait-il autrement pour elle ? C’est une chasseuse depuis sa naissance, voilà tout. Et il est temps qu’elle retrouve une vie normale à Woodbrook en affrontant le deuxième tueur…