Les collaborations franco-japonaises sont rares, mais lorsqu’elles émergent, elles ont souvent quelque chose d’unique à raconter. Milky Way Quest, écrit par Tiers Monde et illustré par Ryô Kasuga, s’inscrit dans cette volonté de mêler influences occidentales et manga traditionnel, en proposant un voyage initiatique où l’humanité et le cosmos ne font qu’un.
Publié le 6 mars 2025 par Omaké Books, Milky Way Quest ambitionne d’être une épopée interstellaire moderne, empruntant à la fois au shônen classique et aux récits de légendes universelles. Mais ce pari osé parvient-il à captiver, ou s’agit-il d’une simple comète qui brillera un instant avant de disparaître dans l’immensité de l’espace ?
L’histoire de Milky Way Quest prend place dans un univers où les constellations sont des entités vivantes, imprégnées de mythes et de légendes oubliées. Le récit suit Mushin, un jeune éleveur vivant paisiblement dans un monde isolé, jusqu’à ce que son destin soit bouleversé par l’arrivée de Meera, une jeune fille fuyant des forces cosmiques qui semblent vouloir la réduire au silence.
Meera porte un savoir interdit, celui des Gardiens d’Orion, une confrérie dont les origines se perdent dans les brumes du temps et des étoiles. Traquée par des êtres d’ombre qui ne devraient pas exister, elle sollicite l’aide de Mushin, le seul capable d’accéder à un temple oublié, où serait dissimulée une carte céleste menant à un passage interdit entre les dimensions.
Le duo, contraint de fuir, découvre peu à peu que leur rencontre n’est pas due au hasard. Mushin lui-même semble lié à une constellation oubliée, et Meera détient les clés d’un savoir qui pourrait bouleverser l’équilibre du cosmos. Sur leur chemin, ils rencontrent d’autres voyageurs, certains alliés, d’autres guidés par des intentions bien plus obscures.
L’un des aspects les plus captivants du manga réside dans ses antagonistes, qui ne sont pas de simples poursuivants sans âme. Le Cercle Astral, une secte vouée au culte des étoiles mortes, cherche à préserver l’ordre établi par la destruction des anomalies cosmiques, dont Mushin et Meera feraient partie. À leur tête, l’énigmatique Dame Sidéra, une silhouette éthérée qui prétend œuvrer pour le bien du multivers, mais dont les motivations réelles restent floues.
Si le duo de héros fonctionne à merveille, c’est parce qu’il repose sur une dynamique bien équilibrée. Mushin est pragmatique et ancré dans le réel, réticent à croire aux prophéties et aux dieux des étoiles, tandis que Meera, malgré sa fragilité apparente, détient une force intérieure impressionnante, portée par une foi inébranlable en ce qu’elle a découvert. Leur relation évolue progressivement, oscillant entre méfiance, confiance et un respect mutuel forgé dans l’adversité.
Si l’histoire de Milky Way Quest repose sur un mélange subtil entre mythologie et science-fiction, son esthétique est une véritable déclaration d’amour au manga d’aventure et d’exploration. Ryô Kasuga, connu pour son style expressif et dynamique, parvient ici à fusionner influences japonaises et touches européennes pour créer un univers aussi grandiose qu’intimiste.
Les paysages, qu’ils soient terrestres ou cosmiques, dégagent une puissance visuelle rare. Les environnements sont à la fois foisonnants et écrasants, mettant constamment en contraste la petitesse des héros face à l’immensité du monde qui les entoure. On passe ainsi des plaines désertiques baignées par une lumière astrale irréelle aux cités suspendues dans le vide, où les étoiles elles-mêmes semblent respirer. Chaque lieu visité semble vivant, habité d’un passé dont les vestiges parlent à travers des fresques, des temples en ruine et des artefacts cyclopéens.
Les scènes d’action sont d’une fluidité exemplaire. Kasuga maîtrise le découpage des planches, alternant entre explosions de dynamisme et instants contemplatifs, où le silence et les jeux de lumière racontent autant que les dialogues. Les combats, bien que peu nombreux dans le premier arc, sont mis en scène avec une intensité rare, et chaque mouvement des personnages respire la gravité et la force.
Le chara-design est un autre point fort du manga. Mushin et Meera arborent des traits marqués, reflétant autant leur âge que le poids des événements qu’ils traversent. Le Cercle Astral, en revanche, bénéficie d’un design plus dérangeant, avec des visages à moitié effacés, des robes constellées d’yeux dormants, et une aura qui oscille entre l’élégance mystique et l’horreur cosmique. Chaque personnage secondaire, même ceux n’apparaissant que brièvement, dispose d’une identité graphique mémorable, évitant l’écueil des figurants oubliables.
En termes d’ambiance, Milky Way Quest sait jouer avec la couleur et la texture, même en noir et blanc. Les ombrages sont profonds, presque liquides, et le contraste entre les ténèbres et les halos stellaires donne parfois l’impression que certaines pages sont illuminées de l’intérieur. Les effets de lumière sont d’une précision chirurgicale, renforçant le côté divin et mystique du récit, en particulier lors des séquences où le cosmos s’invite dans le quotidien des héros.
Si le manga impressionne par sa puissance visuelle, on pourrait toutefois regretter une surcharge occasionnelle de détails dans certaines planches, qui peut rendre l’action légèrement confuse, notamment lors des phases de déplacement dans les espaces oniriques. Mais cette richesse graphique reste une force, et fait de Milky Way Quest une œuvre à admirer autant qu’à lire.
Derrière son apparente aventure cosmique, Milky Way Quest explore des thématiques bien plus profondes, ancrées dans la mythologie, la philosophie et la quête d’identité. Si l’espace et les constellations sont omniprésents dans le récit, ce n’est pas seulement comme un simple décor : ils servent de miroir aux questionnements des personnages, chaque étoile étant le témoin d’un passé, d’un cycle révolu ou d’un futur à écrire.
Le manga s’articule autour d’une idée fondamentale : sommes-nous maîtres de notre destinée, ou ne sommes-nous que des poussières d’étoiles, condamnées à suivre un chemin prédéfini ? Mushin et Meera incarnent deux visions opposées de cette interrogation. Lui, rationnel et sceptique, refuse de croire aux prophéties et aux légendes célestes. Elle, persuadée d’être le dernier maillon d’un cycle immémorial, voit dans leur périple une mission sacrée. Leur dialogue constant autour de cette dichotomie fait toute la richesse du récit, évitant les facilités d’un manichéisme trop tranché.
Le manga aborde également la mémoire collective et l’oubli, à travers les ruines et les constellations effacées. Le Cercle Astral incarne cette volonté de préserver un ordre établi, quitte à sacrifier ceux qui menacent l’équilibre. Leur vision du monde repose sur la négation du changement, refusant que de nouveaux astres naissent dans le ciel. À travers eux, Milky Way Quest interroge la peur du renouveau et le poids du passé, une thématique universelle qui résonne autant dans les mythes antiques que dans les récits modernes.
L’ambiance du manga oscille entre la grandeur mystique et l’intimité des moments d’humanité. Certains passages sont écrasants par leur ampleur, où les héros ne sont que des silhouettes minuscules face à des structures cosmiques défiant l’imagination. D’autres, au contraire, reposent sur la simplicité des échanges, sur des silences partagés, où la seule lumière provient d’un feu de camp sous un ciel infini. Ce contraste constant entre immensité et introspection confère à l’œuvre une aura particulière, entre émerveillement et mélancolie.
Loin d’être un simple shônen d’action et d’aventure, Milky Way Quest est une quête existentielle, où chaque planète visitée, chaque étoile observée, chaque ennemi rencontré devient une allégorie d’un combat plus grand : celui de l’individu face au destin.