Test de Farrel

     Clash: Artifacts of Chaos est un jeu d’action/aventure développé par la Team ACE, une petite équipe indépendante fondée en 2002 et basée à San Francisco, notamment connue pour des titres assez singuliers comme Zeno Clash ou encore Rock of Ages.

     Mais avant de commencer à parler du titre en lui-même, il est important de comprendre le développement du projet. En effet, le studio a imaginé une première version en 2003. Sous le nom de Zenozoik, ce dernier a été mis de côté au profit d’autres jeux moins exigeants, sans doute dans l’objectif pour les développeurs de peaufiner leur art afin de livrer une œuvre finale plus proche de leur vision initiale.

     Clash: Artifacts of Chaos est donc la conclusion de 20 ans de réflexion, d’apprentissage, de travail. Et lorsque l’on connaît, ne serait-ce qu’un tant soit peu, les autres titres du studio, tout fait sens. De la patte graphique au gameplay, en passant par la narration, le joueur avisé reconnaîtra sans peine la griffe si singulière de la Team ACE.

     Que vaut-il finalement ? Laissez-moi vous parler d’un jeu qui m’a indubitablement marqué et auquel je repenserai encore dans dix ans…

T’as pas une Gueule de Porte-Bonheur

     Si la Team ACE est connue pour ses univers à l’esthétique Punk et aux designs singuliers ; Clash: Artifacts of Chaos est certainement le titre le plus original du studio.

     Dès le lancement du jeu, le joueur se retrouve embarqué dans une aventure à nulle autre pareille, constituée de créatures difformes, boursouflées, monstrueuses ; et d’environnements qui sont également à cette image : uniques

et dérangeants.

     Sur le plan purement esthétique, l’intégralité des créatures qui croiseront votre route semblera sortie des cauchemars de Cronenberg. L’une semble dépecée, l’autre ressemble à un gorille amorphe, la troisième est le croisement surnaturel entre un humain et une bête atrophiée… et Gemini… Non, je dois vous laisser découvrir cette merveille, c’est une odieuse beauté, cette sublime abomination.

     Même votre héros, Pseudo, a l’air tout droit sorti d’un nuage atomique et aurait sans doute plus sa place dans un Fallout-Like.

     Et pourtant, malgré ce design très original, pour ne pas dire cauchemardesque et qui aurait parfaitement sa place dans une œuvre horrifique ; il règne comme une douce chaleur onirique dans le monde de Zenozoik.

     Une rêverie empreinte d’envolées lyriques, comme si Lovecraft s’était décidé par un beau matin à écrire de la poésie. Les figures sont monstrueuses, les corps désarticulés ; mais les rimes sont pleines et les cœurs enjoués.

     Graphiquement donc, Clash: Artifacts of Chaos est dans la droite ligne de ce que le studio ACE a su proposer ces dernières années ; mais en bien plus abouti. On ressent continuellement cet aspect « post-apocalyptique » chamarré, ce

songe brisé d’un esprit malade et pourtant étrangement si paisible.

     Bien entendu, les environnements ne sont pas en reste. Qu’il s’agisse des villes ou des étendues sauvages, c’est avec un plaisir constamment renouvelé que l’on se perd dans cet univers incroyablement riche, puissant et complet. Chaque élément y trouve sa place, et le joueur avisé saura s’émerveiller devant les découvertes, poursuivre son voyage tout en cherchant à percer les nombreux mystères qui entourent ce monde.

     Oui, visuellement c’est une franche réussite. Clash: Artifacts of Chaos ose proposer une expérience à nulle autre pareille, loin de ce que l’on pourrait retrouver ailleurs. Il ose se démarquer de la concurrence par une originalité rafraîchissante, tout en conservant la patte du studio.

     Certes, on pourra toujours lui reprocher des biomes quelque peu redondants, des décors réutilisés et des textures pas franchement fines.

     Techniquement, en effet, c’est une tout autre histoire. La progression dans l’intrigue avance au prix de lourds sacrifices, tant en termes de bugs que de malfaçons. Je vais être clair sur ce point : non, vous n’êtes certainement pas en présence d’une révolution next-gen qui va vous éblouir par sa 4K HDR et son Ray Tracing. Oui, le titre aurait pu sortir en même temps que la Xbox One et sembler déjà quelque peu vieillot.

     Mais il n’en demeure pas moins une véritable claque, un vent de fraîcheur dans un paysage qui n’a de cesse de se ressembler, de s’uniformiser, jusqu’à nous vomir des produits toujours plus consensuels et sans la moindre saveur.

Poésie macabre

     Mais Clash: Artifacts of Chaos n’est pas qu’un jeu visuellement surprenant. C’est aussi et surtout une histoire qui vous est narrée. Et là… aurais-je d’autres mots pour lui que « chef-d’œuvre » ?

     Le titre nous met dans la peau de Pseudo, un être difforme habitant sur une planète étrange et cruelle : Zenozoik. Vivant en ermite, passant son temps à peaufiner ses techniques et à entraîner son corps, il va un beau jour assister au meurtre d’un vieillard lors d’un duel.

     Pseudo va alors décider de sauver l’enfant qui accompagnait l’ancien, et de l’amener en sécurité dans la ville voisine. Mais il découvre que la cheffe de cet endroit (la fameuse Gemini) est également à la recherche de la jeune créature afin de l’utiliser pour sauver la vie de sa sœur siamoise pourrissant à l’intérieur de son propre corps.

     Votre but devient clair : sauver l’enfant anonyme en le ramenant auprès des siens.

     Quelques lignes, mais une qualité d’écriture sans pareille. Extrêmement avare en dialogues, disposant d’un doublage terriblement plat et dénué d’émotions ; Clash: Artifacts of Chaos sait ce qu’il doit raconter, quand, et surtout comment.

     Il n’oublie jamais la diégèse de son univers morne, sinistre et brutal. Personne ne s’émeut de la mort d’autrui, car c’est là la norme, le quotidien. Nul ne s’enorgueillit de ses victoires ni de ses échecs, comme si même vivre était un calvaire sans la moindre réelle importance.

     Pseudo est complètement blasé, incapable de ressentir la moindre émotion puissante. Et au beau milieu de tout cela arrive l’enfant, le pendant absolu de notre héros. Jovial, curieux, s’émerveillant de tout. Il est l’innocence perdue du protagoniste, l’âme qui l’a quitté naguère au gré d’une vie trop longue et ardue, faite de solitude, de désillusions… et de morts à répétition.

     Clash: Artifacts of Chaos est une ode à l’introspection, à la découverte de soi,

à l’élévation. Et tout y est créé en résonance avec cette vision. De ses graphismes à sa musique en passant par son gameplay ou son level-design. Mais surtout, surtout ; par une narration avare en dialogues et en explications, laissant au joueur le loisir de comprendre ce qu’il désire, ce qui l’implique, ce qui le touche.

     J’y ai personnellement vu un profond message paternaliste dans le lien qui unit Pseudo et l’Enfant ; mais également la redécouverte des émotions malgré le poids des âges. De l’apprentissage d’un héros blasé et puissant qui, finalement, se retrouve sauvé par la créature innocente et faible qu’il devait protéger. Par l’union des esprits de deux entités liées, bien que totalement opposées.

     Et toute cette compréhension de l’œuvre se justifie par sa bande-son. Vous y découvrirez une OST (signée par l’immense et trop méconnu Patricio Meneses) en parfaite résonance avec le titre et ses messages : des musiques violentes et tribales puissamment amplifiées par des voix rauques et gutturales… contrebalancées par des chansons lyriques et joyeuses, cette fois accompagnées d’une voix juvénile. Oui, même les musiques représentent le lien entre Pseudo et l’Enfant, leur lien… jusqu’à l’union des thèmes dans un final grandiose (Et qui me fait encore frissonner).

     En tout état de cause, Clash: Artifacts of Chaos est un jeu d’une richesse narrative incroyable, d’une poésie sans faille et d’une puissance d’écriture réellement impressionnante.

Ritualise-moi la tronche !

     Il est grand temps d’évoquer l’un des points les plus agréablement frustrants de Clash: Artifacts of Chaos : son gameplay.

     Si le jeu se présente de prime abord comme un « vulgaire » beat’em all, vous comprendrez rapidement qu’il n’en est rien. Disciple des arts martiaux, Pseudo se bat essentiellement à mains nues.

     Dès le départ, le jeu vous propose de choisir entre trois styles de combats et vous lance rapidement dans le bain. Premier combat… puis second… puis une défaite. Les coups de Pseudo ne semblent infliger que peu de dégâts, les ennemis sont en revanche capables de vous rosser comme si vous n’étiez qu’une formalité ou pire : un simple PNJ.

     Chaque combat est une épreuve de force, le moindre affrontement capable de vous envoyer six pieds sous terre. Pour autant, le jeu ne se veut en rien comme un Soulborne, seulement un titre à la difficulté corsée, mais jamais injuste.

     Si vous ne sortez pas du chemin principal, jamais les affrontements ne seront retors. En revanche, les explorateurs vont rapidement se heurter à des ennemis d’une puissance hors norme demandant une maîtrise du jeu et de son personnage terriblement frustrante, mais également incroyablement jubilatoire.

     Pensé comme un pendant de la narration, c’est par la force de son envie de sauver l’Enfant que Pseudo va se développer et ainsi améliorer son corps, en même temps que son mental.

     S’il débute ainsi assez faible à cause de sa vie d’ermite, il va apprendre de nouvelles compétences, techniques et manières de se défaire de ses adversaires ; jusqu’à pouvoir cumuler plusieurs styles de combats très variés et complémentaires, quasi synergétiques.

     Apprendre l’art du combat et développer son personnage devient très rapidement indispensable ; de même que comprendre la manière dont ce

système a été pensé.

     C’est sans doute là le point le plus négatif du titre : il manque d’explications claires. En voulant proposer toujours plus de complexité, il finit par se perdre et laisser le joueur sur le bord de la route… à moins que ce dernier ne persiste.

     Car en parallèle se trouve un système d’évolution proposant des éléments de RPG fort mal pensés. Vaincre des ennemis vous fera gagner de l’expérience, cette dernière vous permettant bien logiquement d’augmenter de niveau ainsi que de débloquer des points à distribuer dans vos différentes caractéristiques.

     Mais là où Clash: Artifacts of Chaos est original, c’est par ce simple système. Les différents styles de combats que vous apprendrez sont liés à l’un (ou plusieurs) de ces attributs. Ainsi, augmenter son esprit permettra au style rapide de faire plus de dégâts. Si, au contraire, vous aimez le style « Mamouth », il faudra penser à développer son physique en conséquence.

     Vous l’aurez compris : ce système inutilement complexe est un véritable poids dans l’évolution et la compréhension du titre, d’autant que le niveau de difficulté réellement élevé ne laisse que peu de place aux expérimentations.

     Lors des affrontements enfin, vous avez tout le loisir d’esquiver ou de parer. Si la première mécanique est simple et vous sortira de la plupart des situations, maîtriser la seconde offre des avantages qui peuvent littéralement changer le cours d’une bataille.

     À chaque parade réussie, Pseudo voit sa jauge spéciale augmenter. Une fois celle-ci pleine, vous pouvez librement déclencher un état de transe. Durant une séquence en vue FPS, il vous faut attaquer selon une rythmique précise (bien que d’une simplicité extrême, puisqu’elle consiste uniquement en trois enchaînements de quatre coups) pour déclencher une attaque puissante capable de terrasser bien des assaillants (ou de leur faire de gros dégâts).

     Le système de combat de Clash: Artifacts of Chaos est donc particulièrement réussi, sinon sur cet aspect RPG qui aurait sans doute dû être mieux peaufiné… ou tout simplement supprimé.

     Précision importante : lors de vos explorations, vous avez la liberté de défier toute créature pensante au Rituel. La seule et unique loi de Zenozoik consiste en un mini-jeu donnant au vainqueur un avantage lors du combat à venir.

     Si la mécanique en elle-même est loin d’être convaincante (le mini-jeu étant bien plus hasardeux que spirituel), son ajout est une véritable plus-value à la narration qui ancre d’autant plus cet univers comme un endroit violent, dangereux et terriblement cruel.

Ce n’est pas Breath of The Wild, mais…

     J’aimerais terminer ce test en vous parlant du point qui m’a le plus séduit dans Clash: Artifacts of Chaos : son exploration.

     Les différents environnements que vous serez amené à traverser se découpent comme une succession de niveaux interconnectés entre eux. Au fur et à mesure de votre partie, vous reviendrez donc régulièrement sur vos pas en débloquant des passages secrets, en ouvrant des voies bloquées ou en

déverrouillant des portes.

     Cette construction labyrinthique du monde de Zenozoik est clairement l’un des meilleurs points du jeu. Fi de toute boussole, journal de quête ou indication. L’ATH est réduit à son strict minimum, de même que les indications données. C’est au joueur de trouver sa voie, comme Pseudo cherche la sienne dans la morne solitude de son ermitage.

     Le level-design n’est en rien révolutionnaire, mais comporte un sous-texte absolument impressionnant, notamment dans les liens qui peuvent réunir des zones très éloignées… Tandis qu’en parallèle, Pseudo renforce son lien avec l’Enfant.

     Et régulièrement, l’intensité de la narration est en concomitance avec l’aspect des niveaux et des zones traversées. Comme si tout n’était qu’un rêve, une illusion romancée par l’esprit du héros symbolisant uniquement son parcours, au sein de cette quête parsemée d’abnégation et de don de soi.

     Sachez également que Pseudo est immortel (comme son nom le laisse à penser), puisqu’il dispose d’un « double » qui se réveille à la nuit tombée (ou lorsqu’il meurt). Cette forme de lui-même parcourt une version nocturne et bien plus ardue du monde, mais peut aussi débloquer de nouvelles zones et passages, tout en vous permettant de mieux comprendre le monde et son scénario.

J’aime

J’aime moins

L

Une histoire excellente

L

Original et émotionnellement puissant

L

Tous les éléments résonnent à la perfection, au service de l’intrigue

L

Une bande-son incroyable

K

L’aspect RPG raté

K

Un niveau de difficulté vraiment élevé